Actualité du cabinet
PITCHO FASSINA PETKOVA

Gouverner au temps du choléra

Publié le 30/03/20

En faisant voter la loi du 22 mars 2020 relative à l’épidémie de Covid-19, le Gouvernement vient de créer l’état d’urgence sanitaire. Cette loi impose aussi le report du second tour des élections municipales – et une possible annulation du premier tour dont on se demande encore pourquoi il a été organisé en pleine explosion de la phase épidémique – renvoie à une myriade d’ordonnances permettant au Gouvernement d’agir dans les domaines les plus variés de l’économie, et notamment l’organisation du travail au sein des secteurs sensibles. Ces ordonnances seront d’ailleurs présentées en Conseil des ministres le 25 mars et constitueront la pierre de touche d’un nouveau régime d’exception dont l’utilité  juridique semble douteuse. 

Il faut toujours observer avec méfiance un pouvoir qui s’arroge, pour lui même, des droits exorbitants en proclamant la nécessité d’une urgence nationale ou d’une menace quelconque. Il faut aussi, évidemment, rappeler que la première des libertés consiste à préserver la vie et que, en période d’épidémie, des mesures limitatives de liberté peuvent être nécessaires. Ce nouvel état d’urgence soulève pourtant trois questions gênantes. 

Il innove en premier lieu, là où de nombreux régimes d’exception parsèment déjà notre droit. Qu’il s’agisse des pouvoirs exceptionnels que le Président de la République tire de l’article 16 de la Constitution, de la loi du 3 avril 1955 sur l’état d’urgence – non sanitaire celui-ci – ou des théories jurisprudentielles des circonstances exceptionnelles, nous disposions déjà d’un arsenal suffisant. L’amender eut été juridiquement suffisant. Cette création ne poursuit donc qu’un unique objectif, strictement politique : permettre de mobiliser la Nation en armes face au péril. En feignant de déclarer une « guerre » soudaine mais nécessaire à l’ennemi microscopique invisible, le Gouvernement essaie d’unir tous et chacun derrière sa bannière. Ce serait louable s’il ne s’agissait aussi de faire taire les possibles doutes sur la qualité des actions conduites ou qui, justement ne l’ont pas été, des précédentes semaines. La politique n’oublie donc pas ses droits même en période de péril. 

La qualité des dispositions incluses dans la loi est elle-même douteuse. Tout dispositif d’exception donne les pouvoirs les plus étendus aux autorités administratives, et celui-ci n’y échappe pas. Il crée pourtant de nouvelles infractions pénales, dont l’application apparaît dangereuse. En cas de manquement par un particulier, qui aurait été constaté trois fois d’affilée dans un délai de 30 jours, une peine de six mois d’emprisonnement peut être prononcée. Or, la constatation de ce manquement lui-même soulève de graves difficultés. Notre pays a pu relever le flottement insupportable dans la mise en œuvre du confinement et dont l’application relevait, finalement, de l’arbitraire des agents concernés : sortie possible pour motif physique mais pas de jogging ? possibilité de sortie à proximité de son logement mais jusqu’à quelle distance : 100 mètres, 200 mètres ? les marchés ouverts devaient-ils être maintenus alors que les supermarchés couverts continuaient à fonctionner ? 

Ce désordre a été sanctionné par une ordonnance du juge administratif datée du 22 mars 2020, bien en peine de comprendre la cohérence du dispositif dans le désordre et l’incertitude de sa mise en œuvre. Nos libertés n’étaient plus garanties par un régime exceptionnel strict mais clair, mais par l’arbitraire que chaque commissariat, chaque gendarmerie ou police municipale entendait faire respecter. 

Il faut ajouter que, puisque les juridictions ne fonctionnent plus, sinon au ralenti, il devient illusoire de pouvoir lutter contre une quelconque constatation à trois reprises d’une telle infraction. Des personnes pourront donc subir une peine d’emprisonnement sans avoir pu, auparavant, contester l’existence même de l’infraction. Alors que l’ensemble de notre population doit adhérer aux mesures rendues nécessaires, il s’agit d’un délit parfaitement inutile et abusif. 

L’état d’urgence sanitaire crée, enfin, un comité de scientifiques qui doit rendre des avis publics sur l’état de la catastrophe sanitaire, les connaissances scientifiques qui s’y rapportent et les mesures propres à y mettre un terme. Le comité ne dispose pourtant d’aucun moyen spécifique ni d’aucune autorité propre sur les autorités publiques. Nul ne peut songer à contester l’indépendance desdits scientifiques. Nous devons cependant tous reconnaître que les moyens ne lui sont pas donnés pour que sa mission soit exercée d’une manière satisfaisante. 

Le comité devra commenter les mesures prises ou à prendre, sans pouvoir commenter le cadre global d’action gouvernementale. Pour l’épidémie de Covid-19, il rendra donc des avis dans les contextes économique, sanitaire et politique déjà mis en œuvre. Que pourra-t-il dire sur la stratégie d’absence de distribution des masques alors que ces derniers ne sont pas disponibles ? De quelle liberté disposera-t-il pour rappeler la nécessité de tests et de dépistages massifs de la population concernée ? 

Il est encore tôt pour critiquer la gestion de cette épidémie mais les premières analyses de pays étrangers démontrent, à l’évidence, que la diffusion massive de masques associée à un confinement strict des seules personnes positives constitue la stratégie la plus efficace. La mission du comité scientifique ne peut consister à rappeler cette réalité, alors que nos autorités administratives n’étaient nullement préparées. L’équipement de tous les professionnels de santé et des autres, qui continuent à exercer leur métier fait cruellement défaut du fait de l’impréparation et la désorganisation préalables à l’explosion épidémique. 

En feignant d’installer un comité scientifique sur lequel il  va fonder ses décisions, le Gouvernement commet une double faute : il abandonne d’abord aux seuls scientifiques la mission politique consistant à choisir, arbitrer et décider alors même que leur rôle est fondamentalement différent. Les chiffres sont insuffisants à gouverner sans l’humanisme et les valeurs qui s’y attachent. Il trompe ensuite la population en se parant de la caution morale donnée par la science, afin d’éviter un réel examen de la pertinence des politiques mises en œuvre avant, pendant et après la crise. La loi, qui prévoit la dissolution immédiate de ce comité lors de la levée de l’état d’urgence atteste justement de son incapacité à préparer un retour d’expérience efficace pour que notre pays puisse faire face à une nouvelle pandémie. 

En limitant le contrôle scientifique du comité qu’il a lui-même installé, le Gouvernement s’enferme dans une rhétorique qui ne dupe plus personne. Et il crée les conditions d’une demande populaire et légitime de commissions d’enquêtes a posteriori auxquelles il échappera difficilement. Face au mécontentement des familles de victimes, de celles et ceux qui seront rendus incapables de faire leur deuil parce que les réunions, mêmes funéraires, sont interdites, la limite sera ténue entre examen apaisé de l’action menée et chasses aux sorcières généralisées. Comme l’amour au temps du choléra, le Covid-19 fait déjà remonter quelques archaïsmes contre lesquels le droit entendait lutter et que le Gouvernement a choisi d’instrumentaliser. 

Cette tribune intitulée « Un régime d’exception était-il indispensable pour endiguer le Covid-19 ? », a été publiée sur le site du FigaroVox.

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